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Un couple sans histoire

par Baby Face

Chapitre 7 - Chapitre 8

Chapitre 7 (novembre 2001).

Il referma doucement la porte de sa chambre derrière lui, et fit quelque pas avant de pouvoir s'allonger de tout son long sur son lit. Le matelas se creusa sous son poids, et Ryô ressentit le fugitif bien-être habituel quand le tissu épais du couvre-lit épousa la forme de son dos et de ses épaules. Il croisa les mains sous sa nuque, plia sa jambe gauche de manière à ce que son pied droit puisse venir se caler sur le genou opposé, et ferma les yeux.

Il se sentait mal ; et ce n'était pas le confort de sa position qui pourrait lui faire oublier l'inconfort de son esprit. Quand il était sorti de chez Mick, le courage de ce dernier l'avait décidé à faire abstraction de la précarité de sa situation pour agir enfin en fonction de ses sentiments. Mais, lorsqu'il avait monté l'escalier qui menait à son appartement, chaque marche gravie avait effrité un peu plus sa résolution. De sorte qu'arrivé au sixième étage, il était rentré furtivement chez lui - comme un voleur -, localisant Kaori dans la cuisine et l'évitant soigneusement jusqu'à ce qu'il atteigne sa chambre, où son instinct lui soufflait qu'elle n'oserait pas le relancer.
Sur son lit, Ryô changea de position et se mit en chien de fusil, sa tête reposant sur son avant-bras.

Cette journée lui semblait symbolique de sa relation avec Kaori, et il avait l'impression de refaire à pas de géant toute son histoire avec elle, répétant en quelques heures sa fuite, son indécision, sa lâcheté, toutes choses qu'il avait cumulées vis-à-vis d'elle en six ans. Durant toutes ces années, il s'était rapproché d'elle, suffisamment pour établir entre eux une relation d'étroite complicité, puis s'était dérobé à chaque fois que les choses commençaient à devenir sérieuses.
Oui, décidément, il se sentait mal. Et il se sentait d'autant plus mal qu'une question s'imposait nettement à lui, avec une intensité telle qu'il ne pouvait l'ignorer : et maintenant ?
Cette décision de rentrer furtivement en se cachant d'elle était ridicule, et il n'allait pas rester indéfiniment caché dans sa chambre : il s'était contenté de reculer, mais il allait bien devoir se décider à sauter - même en n'y mettant aucun mauvais esprit.

Ryô s'assit sur le lit, rempli de dégoût pour lui-même. Sortant son paquet de Craven1 d'une des poches du manteau qu'il n'avait même pas pris la peine d'enlever, il en retira une cigarette - la deuxième de la journée - qu'il fit machinalement rouler entre ses doigts sans l'allumer. La seule solution décente qu'il lui restait était d'aller trouver Kaori, et de partager avec elle le fardeau de ses doutes, de ses incertitudes... et de ses peurs. Mais cette démarche lui coûtait horriblement, n'ayant jamais fait l'expérience de se dévoiler autant à un autre être, cette attitude rompant de beaucoup avec le personnage mi-frivole, mi-sombre, mais toujours mystérieux, qu'il s'était forgé au cours des années.

Au terme de plusieurs minutes d'un débat intérieur acharné pour savoir ce qu'il allait faire, sa cigarette était devenu un curieux mélange froissé et torsadé de papier et de tabac. Et Ryô venait de décider pour la quatrième fois qu'il allait immédiatement se lever et sortir de sa chambre, quand il sentit que quelque chose ne se passait pas tout à fait comme prévu. Il se raidit, fit valser par terre la chose informe qui avait autrefois été une cigarette, et se remit dans sa position initiale.

La porte de la chambre s'ouvrit au moment même où il achevait de recroiser ses mains sous sa nuque, adoptant par réflexe une attitude nonchalante et inexpressive - à force de porter un masque, celui-ci finit par faire partie intégrante de vous. Kaori entra dans la pièce, sans avoir frappé à la porte qu'elle referma d'un coup sec du talon.
Mais qu'elle n'eut pas frappé à la porte, Ryô n'y pensa même pas - après tout, elle était coutumière du fait -, l'esprit obnubilé par la simple présence de Kaori dans sa chambre : il n'avait absolument pas envisagé qu'elle puisse décider d'aller jusqu'à l'y relancer. A cause de sa fierté, de sa timidité, de... en bref, de sa tendance naturelle à ne pas faire le premier pas.

Alors qu'il pensait cela, Kaori s'avança vers lui, et il fut marqué par deux choses : en premier lieu, par la pâleur extrême de son visage, et, en second lieu et à mesure qu'elle entrait dans son champ de vision, par une image qui lui parût au premier abord tenir plus de l'hallucination que de la réalité. La lumière du crépuscule jouait délicatement sur les jambes de la jeune femme, ciselant dans des jeux d'ombre une matière qui ne pouvait être égalée par aucun tissu : la peau nue. Interrompant inconsciemment sa respiration - il n'avait certes pas attendu ce jour-là pour se rendre compte de la beauté des jambes de sa partenaire, mais il s'était toujours efforcé d'y attacher le moins d'attention possible - Ryô faisait un effort de volonté pour détacher les yeux de ce spectacle, quand ses pupilles se dilatèrent malgré lui : Kaori venait de faire un nouveau pas en avant, se présentant légèrement de biais par rapport à lui, et Ryô ferma un instant les yeux en constatant qu'elle ne portait strictement rien d'autre que ce chemisier blanc s'échancrant sur les hanches. Quand il les rouvrit, son regard était à nouveau dirigé vers le haut, et il s'aperçut avec gêne qu'elle le regardait fixement.

Ils restèrent quelques secondes ainsi, dans un silence horriblement pesant - tellement pesant et épais que Ryô avait l'impression que même les bruits de la rue ne parvenaient pas à le fissurer -, elle le regardant sans ciller, et lui n'osant détacher les yeux de ce regard à l'intensité quasi-hypnotique.
Ce fut cette fixité, ainsi que la pâleur de son visage, qui finirent par faire comprendre à Ryô l'état dans lequel se trouvait la jeune femme. Pour trouver le courage de venir le trouver dans sa chambre - à moitié nue ! - Kaori avait dû puiser au fond d'elle-même chaque particule de résolution, mais aussi abdiquer toute pensée et réflexion qui autrement l'auraient paralysée et empêchée d'aller jusqu'au bout de sa volonté. Et c'était pourquoi son regard était si vide et ses joues si blanches : à l'intérieur de son esprit tout devait être blanc, et flou.

Intimement convaincu qu'elle s'interdisait de penser pour ne pas s'enfuir à toutes jambes, Ryô sentit s'évanouir un peu du désarroi qui l'avait envahi à l'arrivée de Kaori. C'était un réflexe de lâche, il le savait bien, mais pourtant il ne pouvait contrôler l'onde de soulagement qu'il éprouvait à la pensée que, Kaori étant en état second, elle avait probablement perdu toute notion du temps, de sorte qu'il avait plusieurs secondes devant lui pour réfléchir à la situation.
En faisant irruption dans sa chambre alors qu'il ne s'y était absolument pas préparé, Kaori avait faussé les règles du jeu qu'ils suivaient depuis plus de six ans, et l'avait déstabilisé. Or, il n'y avait rien qu'il ne détestait plus que d'être pris au dépourvu, et d'être plongé dans une situation dont il ne maîtrisait pas les moindres aspects. Être toujours prêt, de façon à pouvoir réagir avant même l'apparition du danger ; c'était une règle que la vie lui avait inculqué dès son plus jeune âge, et une nécessité vitale dans son milieu. Il avait aussi adopté cette règle pour sa vie privée, ne pouvant se permettre d'être troublé par ses sentiments et de ne plus agir rationnellement ; ce qui expliquait pourquoi il avait été si fortement troublé par l'intrusion de Kaori dans sa chambre, au point de ressentir un tel soulagement à l'idée d'avoir un peu de temps pour lui permettre de s'adapter.
S'adapter... Ryô haussa les épaules intérieurement. Comme s'il pouvait s'adapter à la présence d'une Kaori à moitié nue dans sa chambre ! Et d'ailleurs, pourquoi avait-il si peu prévu qu'elle puisse agir ainsi ?

Masquant son geste derrière sa nuque, il serra les poings, puis les dents, à mesure que ses ongles s'enfonçaient dans la paume de sa main. Il était trop lucide pour ne pas pouvoir répondre à cette question : en évitant une confrontation avec Kaori, il avait tablé sur le fait qu'elle prendrait mal la chose, mais qu'elle finirait sans doute par l'accepter. Par lassitude, par habitude de ne jamais accéder au bonheur.
Comment avait-il pu, même inconsciemment, être lâche au point d'espérer une chose pareille ?

Ryô desserra lentement les poings, désincrustant peu à peu ses ongles de sa chair. Cette douleur physique n'était pas suffisamment forte pour pouvoir lui servir d'absolution et, de toute façon, il avait déjà été puni pour sa lâcheté : chaque seconde qui s'écoulait le rapprochait un peu plus du moment où il devrait trancher entre deux alternatives qui semblaient toutes deux n'avoir aucune issue satisfaisante. Soit il prenait Kaori dans ses bras, soit il la repoussait, mais dans tous les cas il devait mettre un terme à l'indécision qui était la sienne depuis le début de cette soirée néfaste. Kaori lui rendait ce choix d'autant plus difficile en le mettant au pied du mur, mais comment lui en vouloir ? Comment lui montrer qu'elle n'était pas la seule à souffrir ?
Comme en réponse à ce débat intérieur, Kaori battit des cils, et Ryô eut l'impression que son regard devenait moins fixe, et reprenait peu à peu vie ; il n'avait plus le temps de tergiverser, il lui fallait prendre une décision. Et le plus rapidement possible de préférence, sans quoi il devinait aisément quel serait le dénouement de la scène : Kaori s'enfuirait de la chambre, blessée à mort par son inertie.

Tout son être le poussait à décroiser ses mains et ouvrir ses bras, mais Ryô répugnait violemment à céder à ses sentiments sans y avoir auparavant mûrement réfléchi. Et là, dans la minute qui avait suivi l'entrée imprévue de Kaori, il n'avait certes pas eu le temps de clarifier ses idées, ayant au contraire eu l'impression de s'enfoncer davantage encore dans les sables mouvants de ses sentiments et de ses désirs.
Pourtant... La poitrine de Kaori se soulevait au rythme d'une respiration lente, tendant le fin tissu de son chemisier dans son mouvement ; ses lèvres étaient roses et luisaient doucement dans la pénombre, entrouvertes et infiniment désirables. Et s'il l'embrassait, où était le mal ? Ne pouvait-il pas s'arrêter cinq minutes de réfléchir et s'abandonner à ce que lui soufflait de faire son instinct ?

Ryô sentit son cœeur battre plus rapidement. Les paumes de ses mains se couvrirent d'une légère transpiration, et il commença à décroiser légèrement ses doigts. Ces derniers s'étaient presque séparés quand il stoppa net son geste. Une pensée nouvelle venait d'envahir son esprit, et il se maudissait de ne pas y avoir songé plus tôt : Kaori était sa partenaire, et en tant que telle pouvait très bien être visée comme lui l'avait été par deux fois au cours de cette journée - il avait été soulagé de découvrir en rentrant qu'elle était indemne. Ce risque, elle l'avait couru dès le moment où elle était devenue son assistante, et l'avait accepté en pleine connaissance de cause. Lui avait eu plus de mal à accepter que celle qu'il aime soit perpétuellement en danger à cause de lui, mais il s'était finalement fait une raison. Aussi risquée que soit leur vie, ils la vivaient ensemble, et c'était leur plus cher désir à tous deux. Soit. Mais qu'en serait-il si elle apparaissait aux yeux du tireur qui le haïssait tant, non plus comme une simple partenaire de travail, mais comme sa petite amie ?

La réponse était malheureusement évidente : Kaori serait alors considérée comme le plus sûr moyen pour lui faire du mal, à lui City Hunter, et on essayerait de le faire souffrir à travers elle.
Les doigts de Ryô se recroisèrent sous sa nuque. De cela, il ne voulait pas. Ce qui signifiait qu'il ne pouvait se permettre de changer de comportement à l'égard de Kaori, non plus qu'il ne pouvait se permettre d'expliquer la situation à cette dernière. Un pli amer se forma sur les lèvres du nettoyeur. Il ressentait cruellement la futilité qu'il y aurait à dire : « Dans l'état actuel des choses, je peux mourir à tout moment, et je ne veux pas que tu sois visée en tant que ma petite amie : plutôt que de commencer notre relation ainsi, je préfère attendre quelques jours. J'espère que cela ne te dérange pas ? ». D'une part, il y avait une bonne probabilité qu'elle ne le croit pas - il n'aurait pas dû lui montrer qu'il pouvait mentir comme un arracheur de dent tout en ayant l'air de quelqu'un à qui on donnerait le bon dieu sans confession ^^ - et, d'autre part et surtout, elle se moquerait bien d'être mise en danger et ferait tout pour partager son sort. Elle pouvait se montrer plus têtue qu'une mule, et le meilleur moyen pour ne pas en arriver là était de ne rien lui dire.

Cette solution n'en était pas vraiment une, il le savait : de quelque manière qu'il présente la chose, Kaori allait se sentir meurtrie et repoussée. Mais il n'avait plus le temps de réfléchir davantage (comment ça « ouf !! » è_é ?) : devant lui, Kaori perdait peu à peu son immobilité de statue ; une légère couleur nuançait la pâleur de ses joues, en même temps que ses mains se joignaient et commençaient à se triturer nerveusement. Voyant cela, Ryô ferma un instant les yeux, essayant contre tout espoir d'arrêter le temps et de grappiller encore quelques secondes. Il allait blesser celle qu'il aimait, et cette pensée le faisait horriblement souffrir. Mais il n'avait pas le choix, hormis celui de décider par quel moyen il allait la repousser ; et, rattrapé par son personnage, jugeant peut-être aussi plus ou moins consciemment que la situation pouvait encore être dédramatisée, il opta pour l'humour.

- Kaori...

Les yeux de la jeune femme se plantèrent dans les siens, et perdirent définitivement leur immobilité vide de vie pour refléter à nouveau les sentiments d'un esprit troublé. Ryô put y lire une interrogation, une attente qu'il ressentit douloureusement jusqu'au plus profond de lui-même. Il se haïssait pour ce qu'il était en train de faire, et quand il reprit la parole, sa voix résonna froidement à ses oreilles :

- Dis donc, Kaori, attaqua-t-il sur le mode pince-sans-rire, je sais bien que notre boulot t'oblige à porter des tenues qui ne sont pas des modèles de féminité, mais ce n'est pas une raison pour porter des habits négligés !

Kaori cligna une première fois des yeux, puis une deuxième, avant d'être à nouveau capable de formuler en pensée ce qu'elle ressentait. A ce moment-là, une lueur d'étonnement passa dans ses yeux, rapidement remplacée par un écarquillement témoignant d'une incompréhension totale. En prenant la décision d'aller à la rencontre de Ryô, elle ne savait pas exactement à quoi elle s'était attendu de la part de ce dernier, mais elle s'était plus ou moins persuadée qu'il ne pourrait réagir que de deux manières possibles : soit l'accepter, soit la rejeter. Mais en aucun cas elle ne comprenait ce que venait faire ici cette voix teintée d'insouciance, qui lui paraissait singulièrement déplacée. Pour qui la prenait-il donc ? Ne comprenait-il pas que son amour pour lui était à la mesure des efforts qu'elle avait dû concéder pour venir le relancer dans sa chambre ?

Incapable de soutenir le regard de Kaori, Ryô détourna les yeux et se mordit les lèvres. Ce qu'il s'apprêtait à dire était vraiment méprisable, et d'un ridicule fini : mais, quoi que cela lui coûtât, il était trop tard pour stopper le mécanisme qu'il avait mis en marche.

- C'est vrai quoi, Kaori... Tes jeans blancs, tu pourrais les repasser avant de les mettre, tout de même ! Ou au moins les défroisser, c'est le minimum ! termina-t-il d'un ton faussement sévère, en désignant de l'œil les jambes de sa partenaire.

Ryô se tut. Chaque mot prononcé lui avait paru résonner comme un glas, élargissant un peu plus à chaque fois la plaie qu'il ouvrait dans le cœur de la femme qu'il aimait. Pendant une dizaine de secondes rien ne se passa d'autre dans la pièce que le silence puis, lentement, tel un carrousel mort qu'un tour de clef vient ressusciter, les choses s'animèrent de nouveau.
Kaori vacilla légèrement, et fit un pas en arrière pour assurer son équilibre. Quand elle était rentrée dans la chambre, une paix étrange l'avait envahie, et elle s'était sentie flotter dans une sorte de brouillard confus, à mi-chemin entre le rêve et la réalité. La sensation n'avait pas été désagréable, mais le réveil l'était, lui, et particulièrement. Elle se sentait maintenant glacée, et terriblement lucide. Ce que Ryô venait de dire n'avait aucun sens - elle manquait de confiance en elle, mais savait quand même que ses jambes ne méritaient pas le qualificatif de « froissées » -, hors celui de lui faire comprendre que ce n'était pas aujourd'hui qu'il lui ouvrirait ses bras. Le ferait-il jamais un jour, d'ailleurs ? Mais, sans même s'essayer à comprendre les raisons de ce refus, l'esprit de Kaori butait sur un point : pourquoi, mais pourquoi Ryô lui avait-il dit une chose pareille, et aussi nonchalamment qui plus était ? Pourquoi une telle insouciance, pourquoi faire comme si elle ne représentait rien pour lui, alors que toutes les années qu'elle avait passé à ses côtés lui avaient patiemment prouvé le contraire ? Et elle ne pouvait même pas s'aider de ses expressions pour essayer de sonder son âme, sachant pertinemment que cette dernière ne s'y reflétait que lorsqu'il le voulait bien - et il voulait rarement.

Kaori se détourna à moitié de l'homme toujours aussi négligemment allongé sur son lit, mais ne put s'empêcher de chercher une dernière fois son regard, comme pour accorder une dernière chance au destin. Dans la semi-obscurité, les yeux de Ryô se détachaient nettement du reste de son visage, mais elle n'y lut aucun sentiment ; ils lui parurent seulement un peu lointains, et elle n'aurait su dire ce que cette expression cachait : de la tristesse, des regrets ? Ou, plus simplement, de l'indifférence ?

- C'est cela, Ryô ? Tu t'intéresses donc si peu à moi ?

N'obtenant pas de réponse - et pour cause, elle n'avait pas ouvert la bouche -, Kaori détacha ses yeux de ceux de l'homme qui était tout pour elle, et les abaissa sur le sol. Un éclair s'alluma dans son regard quand elle passa sans s'arrêter sur l'objet qui jonchait le sol à côté du lit, puis elle acheva le mouvement qui lui fit tourner le dos à Ryô. Après quoi elle accomplit avec une facilité qui l'étonna elle-même les quelques pas qui l'amenèrent à la porte, et ouvrit et referma cette dernière sans même s'en apercevoir.

Quand le silence eut gagné la bataille qui l'opposait au claquement sec de la porte, Ryô se retrouva de nouveau seul. Seul avec des pensées qui insistaient pour lui fournir une compagnie dont il se serait bien passé. La scène n'avait sans doute pas duré plus de trois minutes - trois siècles pour lui -, mais elle lui avait laissé une étrange sensation d'amertume dans la bouche. Il avala à plusieurs reprises, essayant de s'en débarrasser, mais le goût persista. En désespoir de cause, il reprit sa position en chien de fusil, et ferma les yeux. Il se sentait fatigué, mais fatigué... Sans compter qu'une lourde tâche l'attendait : réussir à se persuader qu'il n'éprouvait pas de regrets et que, si l'occasion devait s'en représenter, il n'hésiterait pas à refaire ce qu'il avait fait - même si le fantôme de Makimura risquait fort de venir le tirer par les pieds en représailles de ce qu'il avait fait à sa sœeur.

- C'est sans doute mieux comme ça, marmonna-t-il à plusieurs reprises.

Il continua ses marmonnements un moment, puis, alors qu'il songeait à explorer plus en profondeur toutes les possibilités de la méthode coué, deux coups secs frappés à sa porte lui rappelèrent instantanément dans quelle situation il s'était mis.

- Dois-je me préparer à mourir, murmura-t-il entre ses dents, et Dieu pense-t-il que la journée n'a pas été suffisamment catastrophique comme ça et qu'il lui faut en rajouter ?
- Oui ? reprit-il, plus fort cette fois.

En réponse Kaori entrebâilla la porte.

- Le dîner est prêt, dit-elle d'un ton neutre et froid, laissant à Ryô la pénible impression d'être revenu au début de la matinée. Seule différence, Kaori n'avait pas laissé transparaître de tristesse dans sa voix, seulement une froideur distante qui ne valait certes pas mieux.

La tête de la jeune femme disparut dans la luminosité du couloir, pour finalement réapparaître quelques secondes après :

- Au fait, tant que j'y pense, tu as un boulot, dit-elle en insistant sur le « tu ». La cliente s'appelle Megumi Asatani, je lui ai téléphoné aujourd'hui et tu la rencontres demain matin à 10h. J'espère pour toi que c'est une jolie femme... et qu'elle porte des jeans bien repassés, elle.

La porte se referma sur ces paroles définitives et sur la lumière du couloir, laissant Ryô dans le noir à ressasser des idées moroses. Après tout, peut-être qu'il était exagéré de dire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

***

Chapitre 8 : Machiavel (février 2002).

Miki balaya la salle du regard, apportant à son examen une minutie qui tenait plus du désœuvrement qu'autre chose : n'était la personne qui à côté d'elle passait son temps en nettoyant des assiettes qui n'en avaient guère besoin, elle était seule dans la salle principale du café Cat's eye.
Et la raison en était simple, songea Miki en lançant un regard oblique et amusé à cette raison - c'est à dire en jetant un coup d'œil à Falcon, alias Umibozu, l'Eléphant de mer. Kasumi était de nouveau partie skier, la laissant seule pour la journée : et Falcon avait tenu à être à ses côtés pour tenir le café en l'absence de la jeune fille.
Elle était heureuse qu'il ait proposé ça de lui-même, pour une fois, et elle préférait largement rester seule en sa compagnie - même debout derrière un comptoir - plutôt que de passer la journée à courir en tous sens pour essayer de satisfaire aux besoins de la faune bruyante qui peuplait d'ordinaire le Cat's eye. Mais elle devait bien s'avouer qu'elle ne pouvait pas se permettre d'enchaîner trop de ces journées, du moins si elle voulait finir le mois sans problèmes : Ryô avait été l'un des seuls clients de la journée - la nuit venait de tomber, il allait bientôt être temps de fermer -, et il aurait été le meilleur si seulement le bougre n'avait pas encore une fois consommé à crédit... A propos de Ryô, d'ailleurs... La jeune femme vérifia une dernière fois que la salle était décidément toujours aussi vide, et elle s'apprêtait à ouvrir la bouche quand le gling-gling habituel de la clochette fixée à la porte d'entrée l'en empêcha.

Miki jeta un autre coup d'œil rapide à côté d'elle. Par chance, Falcon était agenouillé derrière le comptoir pour ranger le petit tas d'assiettes fissurées - dans tout Tôkyô, ce café était sans doute celui où l'espérance de vie des assiettes était la plus courte - qu'il avait énergiquement lavé, rincé et enfin essuyé : elle devait profiter de cette occasion inespérée pour tenter de redresser les comptes de cette journée qui avait été catastrophique, d'un pur point de vue commercial.

Cette pensée en tête, elle contourna vivement le comptoir, et se porta à la rencontre de l'homme qui refermait la porte d'entrée derrière lui. Si elle réussissait à prendre la commande du client avant que ce dernier ne se retrouve face à face avec un Falcon essayant de lui sourire amicalement, alors peut-être qu'il consommerait quelque chose avant de s'enfuir à toutes jambes.

- Bonjour et bienvenue au café Cat's eye, dit-elle après s'être assurée que la silhouette qui s'extrayait de la nuit ne correspondait ni à celle de Ryô ni à celle de Mick, c'est à dire à aucun de ceux qui venaient régulièrement au café sans payer - bien que Mick fut moins pire que Ryô, sur ce point-là : il finissait toujours par régler sa note, sans que Kazue soit obligée de le faire à sa place.

A quelques pas d'elle, le client potentiel s'immobilisa. Ses cheveux étaient d'un noir de jais, rejetés en arrière et lissés impeccablement, contrastant fortement avec la blancheur immaculée de son costume. Son visage était jeune d'aspect, et lisse lui aussi, même si de fines rides étaient momentanément apparues aux coins de ses yeux plissés par la trop vive lumière du café.
Ce qui ne l'empêchait manifestement pas de se servir de ces derniers pour détailler Miki des pieds à la tête, car un sourire charmeur - ou en tout cas voulu ainsi - se dessina sur ses lèvres et il avança d'un pas en direction de la jeune femme.

- Bonsoir, mademoiselle, dit-il en se retenant visiblement de passer une main dans ses cheveux pour les ordonner encore plus. Je viens de faire une découverte incroyable en vous voyant... Je ne savais pas...

Allégorie vivante de l'humilité, Miki replia ses mains sur son tablier, et étouffa un sourire amusé en songeant à quelle allait être la réaction de Falcon, toujours dissimulé derrière son comptoir. L'homme avait du charme, mais il se comportait en un poseur tel que Miki n'en avait pas vu depuis longtemps - si l'on exceptait, bien sûr, les visites quotidiennes que lui rendait Mick pour lui faire du plat.

- Vous ne saviez pas quoi ? s'enquit-elle sur un ton neutre, voyant que l'individu attendait manifestement qu'elle lui pose cette question.

Ce dernier plaça une main sur son cœur.

- Je ne savais pas que dans ce quartier, ce sont des déesses que l'on trouve dans les cafés, dit-il en jetant un regard appuyé sur les formes parfaites de la jeune femme. Vos yeux sont des perles d'encre noire, et... et...

L'inconnu, qui avait délaissé le grade de client-susceptible-de-consommer-avant-de-s'enfuir-en-courant pour celui, plus gratifiant, de dragueur patenté, passa finalement une main dans ses cheveux, non pas pour les lisser encore plus cependant, mais pour les ébouriffer. Ses yeux s'écarquillèrent, une expression lubrique apparut sur son visage, au point que Miki ne put s'empêcher d'amorcer un mouvement de recul, surprise par la transformation soudaine qui venait de s'opérer devant elle. A présent, l'homme ne lui rappelait plus Mick, mais...

- ...et laissez-moi deviner : vous faites 89 de tour de poitrine, 57 de tour de taille, et pour les hanches... Mmmh...

Il se rapprochait encore plus de la jeune femme, qui était à présent partagée entre l'envie de se laisser aller au fou rire et une étrange sensation de froid qui s'insinuait dans tout son être, quand il interrompit brutalement son mouvement et amorça à son tour un geste de recul.
Instantanément et sans qu'elle sut trop bien pourquoi, Miki se mit à respirer plus librement. Elle vit l'homme jeter un regard aigu au dessus d'elle, et n'eut certes pas besoin de se retourner pour savoir qu'une imposante silhouette venait de s'ajouter à la sienne. Ce qui l'étonnât le plus fut la façon dont, en une fraction de seconde, le visage de l'inconnu prit une expression d'effroi et de repentir, dont l'intensité confinait au comique ; et l'expression chez Miki que la scène tournait au vaudeville fut confirmée, une seconde plus tard, quand l'homme se jeta brusquement à terre pour se prosterner devant elle - et donc devant l'Eléphant.

- Maître tenancier, pardonnez-moi, je vous en prie ! Je n'avais pas de mauvaises intentions en disant cela, je vous assure !

Dépassant largement de derrière la jeune femme, Falcon fronça les sourcils, perplexe - et un peu vexé de s'entendre appeler « tenancier ». La réaction de l'homme était étrange, et certainement disproportionnée eu égard à ce qu'il avait dit ; ce dernier restait agenouillé, ses mains et son front plaqués contre le carrelage. Il finit par soupirer - même si l'on ne considérait que cette seule journée, ce n'était pas la première fois qu'un type bizarre venait dans le café.

- Ho ! Oserais-je croire à votre pardon ? demanda leur étrange visiteur, qui avait fini par relever la tête et s'efforçait à présent de fixer les lunettes noires de Falcon sans s'infliger un torticolis carabiné.

Sa voix était mi-penaude, mi-empreinte d'une contrition paraissant trop sincère pour être vraie, et le froncement de sourcil de l'Eléphant s'accentua. Il ne connaissait que trop bien le son de cette voix et cette attitude...

- Dégage, finit-il par grogner, sans que sa perplexité l'eut quitté.
- Tout ce que vous voulez maître, vos désirs sont des ordres !

Après une dernière courbette, son visage réjoui montrant combien il était heureux de s'en tirer à si bon compte, l'homme fit volte-face, perdit plusieurs secondes dans sa fébrilité à partir en poussant vainement la porte du café, comprit finalement qu'il lui fallait la tirer et réussit à sortir.
Miki suivit quelques instant des yeux le nuage de poussière que soulevait l'inconnu dans sa fuite, aussi loin que la faible clarté des lampadaires le lui permit. Elle finit par hausser les épaules.

- Drôle de type, dit-elle, attendant de la part de Falcon un acquiescement de principe qui ne vint pas.
- Sans doute quelqu'un qui a déjà eu affaire à toi et à qui tu infliges une frousse salutaire...

Miki se tourna vers son nettoyeur de mari. Une ride creusée au milieu du front, il paraissait réfléchir profondément. L'activité intellectuelle était-elle contagieuse, elle n'en savait rien, mais l'attitude de Falcon l'incita elle aussi à réfléchir à ce qui venait de se passer plutôt que de continuer à poser des questions.

- Gling-gling, fit joyeusement la clochette, interrompant avec insouciance les cogitations du couple.

Son tintement ne s'était pas éteint que Miki, obéissant à ses réflexes d'hôtesse, s'était de nouveau tournée vers la porte d'entrée et avait fait un pas en avant. Un léger déclic se produisit, qu'elle ne remarqua pas, et ses lèvres commencèrent à former son habituelle phrase de bienvenue.

- Bon...

Un hurlement la coupa dans son élan :
- NE BOUGE PAS ! ! !

La jeune femme resta un instant interdite, sa respiration subitement coupée. Les mots moururent sur ses lèvres, et il lui fallu un moment pour identifier la deuxième personne qui avait hurlé en harmonie parfaite avec Falcon, et qui était à présent agenouillée en face d'elle, à fixer quelque chose au niveau de ses pieds. Elle regarda sans le voir vraiment Mick qui hochait la tête tandis que ses doigts couraient le long du carrelage, et elle sursauta quand deux mains puissantes étreignirent soudain ses épaules.

- Ne bouge pas tes pieds, répéta Falcon, qui avait retrouvé son habituelle voix grave et calme.

La jeune femme hocha lentement la tête, et s'efforça de se détendre. Dans la position où elle était, le pied gauche en avant, le droit à demi-soulevé, elle aurait pu se mettre à osciller et finalement perdre l'équilibre, mais la poigne de Falcon la maintenait fermement, excluant ce genre de risque. Miki s'essaya à respirer calmement et profondément. Après tout, elle était la femme d'un des nettoyeurs les plus habiles au monde - et ce malgré sa cécité -, le moins qu'elle pouvait faire était de se montrer à la hauteur ; et sa crainte de la mort n'était rien à côté de celle de voir l'Eléphant regretter de l'avoir épousée.

Elle affermit sa voix :
- J'ai marché sur une mine, n'est-ce pas ?

Mick se releva, et s'affaira à déplisser soigneusement son pantalon au niveau des genoux.

- Exact. Et, selon toutes probabilités, tu viens de réussir ton examen d'armage de mine, rajouta-t-il en lui faisant un clin d'œil appuyé.

L'américain avait pris un ton badin, comme si tout cela n'avait guère d'importance, et qu'il ne se passait guère de jours sans qu'on marche sur des mines à l'intérieur de son propre chez-soi. Son insouciance était contagieuse, et Miki lui fut reconnaissante d'essayer de dédramatiser la situation.

- Il y en a cinq, n'est-ce pas ? grogna un Eléphant étranger à ces problèmes de tact.

Mick le regarda attentivement. D'après ce qu'il connaissait de Falcon, il était prêt à mettre sa main à couper que l'autre était dans une rage froide - contre lui-même.

- Oui, confirma-t-il. Et disposées en arc de cercle vers vous deux. Et reliées entre elles... Ce sont des cônes très plat à bout arrondi, et qui ont exactement la même couleur que celle de votre carrelage. C'est fichtrement bien fait... J'ai déjà entendu parler de ce genre de minimines, mais c'est la première fois que j'en vois...
- Mais je la sens à peine sous mon pied ! s'exclama Miki. C'est minuscule, quel danger une chose aussi petite peut-elle bien présenter ?

Mick regarda la jeune femme, et haussa les épaules.

- Ça... Ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question... Le spécialiste des pièges, ici, ce n'est pas moi...

Falcon ne répondit pas tout de suite à la question qui lui était implicitement adressée. Il s'était agenouillé à son tour, tout en gardant une main sur l'épaule de Miki, et il attendit de s'être relevé pour commencer à parler.

- C'est l'une des plus petites mines qu'on puisse trouver ; son mécanisme et sa charge explosive sont réduits au minimum - ou au maximum, selon les goûts -, ce qui explique pourquoi elles sont construites pour ne pas exploser directement sous le pied : leur pouvoir détonnant est si faible qu'elles ne pourraient, au mieux, que déséquilibrer la personne qui les aurait activées.
- En revanche, elles s'arment dès qu'une pression suffisante est exercée sur leur paroi, et la disparition de cette pression libère un ressort qui les fait bondir à environ un mètre de hauteur. Ce ne sont pas les seules mines à être construites sur ce schéma-là, tu devrais au moins savoir ça, en tant qu'ancienne mercenaire, acheva Mick en s'adressant à Miki d'un air faussement sévère.

Celle-ci eut un sourire un peu crispé ; elle était reconnaissante au nettoyeur made in USA d'essayer de la détendre, mais ce n'était pas la peine qu'il en fasse trop, surtout quand il mettait le doigt sur quelque chose qui la mettait singulièrement mal à l'aise. Elle n'était certes pas novice en matière de mines et de pièges en tout genre, et elle avait un peu de mal à admettre qu'elle ait pu ainsi se faire piéger sans même s'en douter.

- Je sais tout cela. Par contre, je ne comprends toujours pas comment des mines aussi petites peuvent présenter un réel danger, même ainsi. Tu peux m'expliquer cela, en tant que nettoyeur professionnel ?

Mick passa une main gênée derrière sa nuque froissant au passage quelques mèches de cheveux blonds, et leva les yeux au plafond.

- Ha ha ha... Bien sûr que oui, mais je sens que je frustrerais Falcon si je répondais à sa place...
- Pfff... Si tu commençais par ne pas m'interrompre...
- Qu'est-ce que tu marmonnes ? s'écria gaiement Mick. J'ai la gentillesse de t'aider, parce que je sais que tu n'es pas spécialement doué pour les discours, et c'est ainsi que tu me remercies ?

Une veine dessina distinctement son sillon sinueux sur le front de l'éléphant, et il allait répliquer quand il sentit l'épaule de Miki frémir sous sa main, le ramenant à la situation présente.

- Ces mines ont une particularité qui leur vaut d'être particulièrement dangereuses, reprit-il, à nouveau froid et concentré. Le cône qui constitue le corps de la mine n'est pas taillé d'un seul bloc, il est formé de deux pièces posées l'une sur l'autre, la tête étant posée horizontalement sur la base du cône. De sorte que, quand la mine explose, l'énergie ne détruit pas le cône mais en sépare les éléments de quelques millimètres, s'échappant ainsi dans un plan, et non pas uniformément comme pour les explosifs un peu plus puissants. La zone d'impact se limite alors à une ligne, large de moins d'un centimètre et d'autant plus fine qu'elle est proche du point d'explosion.

Il fit une courte pause, que Mick ne put résister à la tentation de combler :
- Eh bien, heureusement que ce n'est pas moi qui me suis chargé de l'explication, ç'aurait été beaucoup moins drôle si ç'avait été clair et compréhensible...

Falcon fit mine de ne rien entendre, et poursuivit ses explications :
- Comme l'énergie libérée est faible, ce genre de mine n'a pas beaucoup d'effet à plus de 30 centimètres de distance, mais elles sont faites pour exploser immédiatement derrière celui qui les a déclenchées, au niveau de la partie la plus vulnérable de son dos, c'est à dire les reins. Pour ainsi disloquer une vertèbre et toucher la moelle épinière, ou bien pour léser l'aorte ou les reins, qu'on trouve juste derrière, et donc provoquer une paralysie ou une hémorragie. Ces mines sont très pratiques, peu coûteuses, faciles à disposer, et relativement meurtrières, et elles étaient couramment utilisées comme armes anti-personnel il y a une trentaine d'années. Depuis, leur emploi a été interdit, et on les trouve beaucoup plus rarement, mais...

L'Eléphant se tut, la situation parlant suffisamment d'elle-même pour lui épargner le besoin d'épiloguer. Mick ne trouva rien à ajouter, et, s'asseyant sur le coin d'une table, se cantonna dans un silence songeur ; de sorte que l'atmosphère du café ne fut bientôt plus troublée que par le magma confus des bruits venant du dehors.
L'américain releva la tête, qu'il avait baissée dans ses réflexions, et observa fixement le front plissé de l'Eléphant ; ce dernier réfléchissait au meilleur moyen de tirer Miki du piège dans lequel elle s'était empêtrée, c'était évident, et il était curieux de savoir la solution que lui, l'expert en pièges, allait retenir.

Voyant que l'inactivité de Falcon se prolongeait, il se carra un peu plus confortablement sur son siège, et finit par dire :
- Il n'y a pas trente-six solutions, non ? Puisqu'une des mines a été armée, et que les quatre autres lui sont reliées, il va falloir nécessairement les faire toutes exploser... A moins que tu ne réfléchisses à un moyen de les désarmer ?

L'Eléphant fronça une nouvelle fois les sourcils, donnant inconsciemment à son visage un aspect suffisamment effrayant pour faire battre le record mondial du cent mètres haies à tout cul-de-jatte qui l'aurait regardé d'un peu trop près.

- Je pourrais les désarmer sans trop de problèmes...
- Mais ?
- Mais cette solution ne me plaît pas... Si c'était moi qui avait posé ces mines, je sais que je me serais arrangé pour pouvoir les faire exploser à distance... C'est trop dangereux...

Celui qui était assis hocha la tête mentalement, tout en notant qu'une main de l'Eléphant venait de quitter l'épaule de Miki pour se glisser sous le bras de la jeune femme et finalement se plaquer au milieu de son dos.

- Je vais te coucher lentement par terre, fit l'éléphant, en s'adressant de toute évidence à Miki. Au ras du sol, tu ne courras en principe aucun danger. Pendant ce temps, Mick veillera à ce que ton pied reste bien plaqué contre la mine.

Un sourire aux lèvres, heureux de prendre part au sauvetage d'une beauté, l'interpellé se leva d'un bond.

- Pfff ! ! Comme à ton habitude, tu utilises les gens selon ton bon plaisir, sans même leur demander leur avis !
- Ecoute, je ne t'oblige à rien... Dis-le si tu penses être trop diminué pour faire ce que je te demande...
- Ha ha ha... Toujours aussi mordant, sourit Mick en s'agenouillant aux pieds de Miki.

Il venait de poser ses mains gantées sur un escarpin de cuir vert - lequel escarpin était immobile depuis cinq bonnes minutes - quand le bruit caractéristique d'un avertisseur de voiture vint frapper ses oreilles, se détachant nettement du fond sonore créé par la circulation dense de ce début de soirée. Il n'y aurait certainement pas consacré davantage d'attention si ce même bruit ne s'était pas aussitôt fait entendre une nouvelle fois, ainsi qu'une troisième.
Il se raidit imperceptiblement, cherchant par réflexe à déterminer l'origine et la signification de ce triple coup de klaxon, et sentit que Falcon avait réagi, lui aussi. Ses yeux s'étaient instinctivement dirigés vers la rue, et il fouillait du regard la faune mobile et métallique qui la peuplait, quand deux autres coups de klaxon retentirent.

- Au moins, il a la délicatesse de prévenir, ironisa Mick, détournant son regard de la rue pour se consacrer à nouveau aux jambes de la jeune femme.


1 Persiste et signe, vu que je n'ai jamais trouvé une seule référence dans le manga à des Lucky Strike ^^ !

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Suite

© Cette fanfiction est la propriété de son écrivain . Elle a été réalisée à partir des personnages créées par Mr Tsukasa Hojo.